Don Quichotte

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Version du 6 novembre 2012 à 09:04 par Jean-Louis Lascoux (discuter | contributions)
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L'auteur de Don Quichotte avait-il l'intention de ne conter que les actes d'un chevalier errant à l'esprit délirant et aux vains combats ?

A lire les ouvrages sur le célèbre Don Quichotte et des présentations neutralisées du roman, nous pourrions croire qu'il ne s'agit que de fantaisie ou d'une description guère impliquante sur la situation de l'époque où l'Espagne et l'Europe subissaient l'Inquisition. Et si le roman de Miguel de Cervantes de Saavedra avait un double sens de lecture très simple, mais réservée à ceux que la philosophie masquée intéresse ?

Sommaire

Médiateurs, un peu de réflexion...

Tout d'abord, se placer dans l'époque. Oui, si nous prenons les traits de plume de Cervantes hors contexte historique, nous pouvons n'y lire que le récit des aventures d'un homme dont les lectures sur la chevalerie auraient provoqué une identification délirante et se satisfaire de n'y voir que quelques bravades d'un gentilhomme idéaliste. On peut aussi n'y voir qu'une oeuvre littéraire, un roman comique, un talent précurseur. On peut encore enliser le propos dans une analyse romanesque du romantique et l'allégorie de Cervantes connaît ainsi le même sort que l'allégorie de la caverne : une interprétation privée de l'odeur des bûchers menaçants...

Aujourd'hui, ça serait ?

Le livre n'est plus le seul media. Des craintes d'une manière de don Quichottisme sont exprimés quant à la vidéo, et surtout des jeux électroniques. L'une des articulations du scénario, c'est qu'une personne élaborerait des règles de vie, par exemple, à partir d'une sélection de films... Il y a matière...

Un regard contextualisé pour comprendre Don Quichotte

Mais, à y regarder de plus près, c'est bien sous couvert d'une farce que l'auteur interpelle ses contemporains - qui reçoivent ou non le message - sur les conséquences de la confiance dans l'écrit.

Comme de nombreux auteurs de l'époque (Descartes, ou Galilée) en auront pris la décision suite à l'exécution de Giordano Bruno, brûlé vif en place de Rome (le 17 février 1600), pour ses propos critiques sur la pensée unique du christianisme, Cervantès choisi certainement d'avancer masqué pour présenter son point de vue sur l'Inquisition, la pensée unique de l'époque, les croisades, etc...

Il est aussi devenu possible de désacraliser le livre. L'imprimerie n'a que 150 ans en Europe, mais elle permet désormais la fantaisie d'une plus grande liberté d'expression.

Le héros parvient à convaincre son entourage et à l'entraîner dans son "délire". Mais les idées dont il est porteur sont-elles celles qui sont comprises ? La tâche de Cervantès est délicate. Parfois nous sommes face à un Don Quichotte agissant. Mais est-il vraiment convaincu de l'authenticité de ce à quoi il se réfère ? Le Doute est permis. Doute dont il témoigne en permanence. Néanmoins, il agit avec un discernement invraisemblable : en fonction de ce qu'il déclare croire. L'auteur semble insister en permanence sur la valeur réel de l'Ecrit. Quelle est celle de ce qui est écrit dans les ouvrages de référence (La Bible, les Evangiles...) ? Autrement dit, ne faut-il pas se méfier de ce qui est couché sur papier ?

Cervantes fait avancer Don Quichotte derrière un masque

L'oeuvre est rendue encore plus complexe, car l'auteur intervient même pour se défendre d'être pour quelque chose dans les agissements de son personnage à qui il semble attribuer une vie autonome, comme s'il lui échappait. Belle manière de dire sans dire, ou en tout cas de se déresponsabiliser face aux éventuels accusateurs qui pourraient avoir trop bien compris le message...

A cette époque, le Livre Saint est présenté comme véhiculant les Vérités du Monde. La farce met en cause la relation d'un homme avec ses lectures. La manière est indirecte. En effet, l'Inquisition menaçe. Tortures, galère et bûchers attendent ceux qui mettent en cause les dogmes.

L'écrivain attribue à un "doux dingue" les questions qu'il souhaite faire passer. Comprenne qui pourra. L'idiot est un sage. Certains ne verront que l'idiot, d'autres entendront le sage. Cervantes illustre avec répétition l'état dans lequel une personne se retrouve lorsqu'elle s'inspire des écrits. En l'occurence, nous voyons le déclenchement de "l'esprit" chevaleresque. Prétexte. Don Quichotte, au nom de ses références livresques, part en croisade contre des moulins à vent. Ils visent ceux-là qui se sont faits croisés et sont partis pour des combats bien plus meurtriers et néanmoins tout aussi délirants.

Cervantès utilise la métaphore. Il contourne et détourne.

Faut-il voir Don Quichotte comme un anti-héros ? Cette notion est contemporaine. Il convient plutôt de voir les conséquences que peuvent produire sur un individu une croyance en ce qui est écrit et, donc, pris pour la Vérité.

En attendant le plus haut fait d'arme de Don Quichotte est de délivrer des prisonniers emmenés aux galères au nom de l'Inquisition (chapitre 22 du volume 2). Commis par un "délirant", la chose peut être acceptable. N'empêche, elle est faite. L'acte est posé. Le discours est dit. Mais l'auteur reste protégé.

Aujourd'hui, Don Quichotte peut nous paraître quelque peu ridicule... C'est faire peu de cas de la confiance crédule - quoi que parfois éclairée de quelque scepticisme, de même que Don Quichotte - que nos contemporains accordent aux médias... voire toujours aux Ecritures, quelles que soient les croyances, valeurs, et paroles qu'elles affirment.

Peu importe les moulins à vent et le reste : Don Quichotte ne dénoncerait-il pas simplement celui qui s'en remet sans discernement (esprit critique et vigilant) à tout autre ?

Il ne faut pas oublier que Cervantès est un contemporain de Descartes... Ce repère peut éclairer la façon d'aborder la compréhension de cette oeuvre qui paraît si légère et qui, à sa manière et plus masquée, fait avancer un esprit plus rationnel.

Autrement dit un livre initiateur de la Distanciation par rapport aux carcans de ce qui est présenté comme convenable, imposant les notions du juste et de l'Injuste. Une invitation à se délivrer des affirmations péremptoires, de la pensée unique dont les conséquences aboutissent au mieux à de gentils délires, au pire à des croisades assassines...

Ne serait-ce pas d'actualité ?

Cervantes n'interpelle-t-il pas, discrètement, ses contemporains et bien au-delà ? Ne voit-on pas arriver, sur le chemin de Don Quichotte, un autre couple d'anti-héros : Jacques Le fataliste et son maître ? Ainsi, Cervantes et Diderot ne se sont-ils pas tendu la main pour un message voisin ? Tous les deux ont amorcé leur récit de la même manière.... Naïfs ? Don Quichotte n'est pas de ceux-là. Il meurt quelque peu découragé. Son entourage n'a recherché qu'à le ramener à la réalité, comme s'il avait perdu ses esprits. Ont-ils, eux, jamais été maîtres du leur ? Son oeuvre accomplie, le personnage de substitution meurt avec le masque de la solitude un an avant son créateur...

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